lundi 26 août 2013

De la grandeur des mes modestes



Certains utilisent l'expression de "vieille famille" ou de "grande famille". Cela signifie que l'on a une belle histoire enluminée, des grands sentiments, des traditions et tout le tralala qui va avec. 

Je viens d'une de ces familles d'aristocrates d'un genre très particulier. Nous n'avons pas de titre, pas de rang, pas de terres. Nous n'avons pas d'armoiries et encore moins de château. 

Nous sommes tous enterrés dans la partie "pauvre" du cimetière, celle sans grands monuments ornementés, sans "de profundis", sans croix pour une partie, et pourtant c'est mon panthéon.

A force de vivre depuis l'enfance parmi eux, je n'ai acquis que tard la conscience de la grandeur des miens et de la noblesse immense de mes aristocrates prolétaires. Il a fallu que je me frotte à d'autres us, d'autres coutumes, pour réaliser combien ils étaient rares. Ils ont tous souffert avec dignité, et été courageux en silence. Aujourd'hui, je vous livre des fragments de leurs vies. J'espère qu'ils et elles vous inspirerons, ou vous donneront l'envie de regarder votre famille avec le même œil:

- Jean-Noël, mon arrière grand-père, dont le premier salaire fut une pièce à trou et qui avec son frère Yvon, se prêtaient leur seule paire de chaussures à tour de rôle. Mécanicien de génie, il fut décoré pour avoir sauvé l'équipage de son sous-marin. 

- Yvon, qui fit le tour du monde des dizaines de fois sur un cargo, et dont la dernière phrase fut "maintenant, je suis prêt à aller au pôle nord" alors que sa femme lui nouait une écharpe autour du cou dans son jardin.

- Marcel, mon grand-père de cœur,  enfant de l'assistance publique, bête de somme dans les fermes, il devint bosco et remonta le golfe du saint Laurent en entendant chanter les baleines. 

- Anne, mon arrière grand mère, brodeuse, a appris le français à l'école et traversa la France en portant sa coiffe.  Étant la seule femme du village à savoir écrire, à 16 ans, elle rédigea pour toutes les autres des lettres pour leurs hommes partis à la guerre.

- André, mon grand tonton, passa sa vie sur les remorqueurs de haute mer à la recherche de bateaux en perdition dans la tempête. Depuis 50 années, il ne bois plus une goute d'alcool.

- Jeannette, ma grand-mère, qui travailla à la chaîne des décennies pour remplir des boîtes de sardines, de maquereaux et de thon. Elle a eu le cran de divorcer la tête haute dans les conservatrices années 60 bretonnes.

Je n'aurai jamais la même vie qu'eux tous et j'ai parfois l'impression de les trahir un peu. Un jour mon parrain, patron pêcheur en mer d'Irlande, m'a dit "toi, tu es quelqu'un", parce que chez nous, soit on est "quelqu'un", soit on est "personne". Ça a été le plus beau compliment que j'ai reçu. 

Je ne sais pas comment leur dire que ce sont eux les "quelqu'un" et que moi je godille derrière pour être un jour aussi honorable. Je les aime avec leur mains déformées, leurs visages cadenassés, leur absence de manières. Ils ne feront jamais de grands discours, c'est pas le genre de la maison. Pourtant ils sont tous des leçons de vie, la vraie.

Biensûr j'ai tiré des caisses sur les criées, traîné un peu mes guêtres dans les chalutiers, et butté les patates, mais ils ont toujours (et moi aussi) su que la vie qui m'attendait est bien différente. Je resterai toujours leur obligée, et partout où j'irai je raconterai que connais des héros et des grandes dames. 


3 commentaires:

  1. Je comprends ta fierté d'appartenir à cette lignée d'hommes et de femmes que l'on imagine courageux-ses, fort-e-s et d'une nature aimable à travers tes lignes. Et je trouve que si tu n'as pas leur vie, la manière dont tu parles d'eux fait aussi de toi un "quelqu'un".

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  2. Ton écriture et tes mots m'ont fait verser une larme pour ces hommes et ces femmes de courage.
    Quel bel hommage que tu rends là, ici et maintenant à cette famille qui est la tienne.
    Laurie

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  3. Ce bel hommage te rend déjà "quelqu'un". Quelqu'un qui a du coeur et du cran.
    Emouvant...

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